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Dans « Disco », on travaille chez Darty, on emmène sa douce au Buffalo Grill du Havre, on écoute RTL et Julien Courbet, on va danser à la Gin Fizz Academy organisée avec le soutien deParuVendu … On peut aimer ou détester le dernier film de Fabien Onteniente. Mais on ne peut pas rater les marques qui peuplent son univers. Au cinéma, on appelle cela du placement. Pratique presque aussi vieille que le septième art, mais qui tend, depuis peu, à proliférer : « Les marques de piscines, de portables ou d’automobiles chinoises sont bien de plus en plus nombreuses à nous demander comment on fait pour être sur un film », constate Jean-Patrick Flandé, à la tête de Film Media Consultant, une des trois agences françaises intermédiaires entre ces marques et les producteurs, qui furent d’ailleurs mises en concurrence pour « Disco ».
Avec ce film-sandwich, on est parvenu à un sommet. « Logique , justifie Onteniente, on ne peut pas imaginer mon histoire en dehors d’un environnement social. » Argument recevable. Si le monde lui-même se remplit de marques, les films reflètent cette tendance. « Dès le scénario, j’avais prévu qu’un personnage travaillait chez Darty et passait le concours interne de chef de rayon. » Le hic, c’est qu’au début Darty n’a pas voulu collaborer. Onteniente ? Trop bas de gamme. Qui dit marque dit en effet aussi image. Pour « Camping », Onteniente s’était heurté au refus de Pernod Ricard. Mais allez filmer Les Flots bleus sans pastis ! Après d’âpres négociations, Ricard a consenti. Il ne l’a pas regretté. Après le triomphe du film, ses ventes ont augmenté de 30 % en France. Et Ricard s’est précipité sur « Disco » par le biais de ses marques d’alcool, dont, officiellement, pour cause de loi Evin, on dit ne pas s’occuper dans les trois agences de placement. Qu’en est-il exactement pour le gin-fizz qui donne son nom à la boîte de nuit de « Disco » ? Là-dessus, les trois agences restent muettes. Hormis pour le champagne, l’alcool, dans le cinéma français, tombe directement du ciel sur les plateaux de tournage. Pour Darty, l’amitié de Franck Dubosc, l’acteur fétiche d’Onteniente, avec Bernard Darty, a arrangé l’affaire : le Darty du Havre a prêté ses locaux et sa camionnette.
Venons-en à Buffalo Grill. Jolie séquence ringardissime, où Dubosc fait apporter, sur fond de musique zouk, un tartare en forme de coeur à la belle Emmanuelle Béart, qui lâche : « Je pensais que c’était ringard, mais les frites sont bonnes. » Merci, Emmanuelle ! Dans le script original, la séquence devait se tourner chez Courtepaille. « Mais aucun accord n’a été trouvé », explique Olivier Bouthillier, de Marques et Films, qui avait un contrat exclusif avec Buffalo Grill, désireux de se montrer au cinéma. Le numéro un du boeuf grillé avait-il envie de redorer son image de marque, après un douloureux épisode judiciaire en 2003 ? « Nullement , explique Bouthillier, tout cela s’est révélé faux. La notoriété est très bonne, mais le cinéma permet de l’améliorer. » Buffalo Grill a donc fermé son restaurant du Havre pendant deux jours, acceptant certains travaux pour les besoins du film. Un échange de services qui se prolongera lors des avant-premières et de la promo. On appelle cela du « tie-in » , ou partenariat global. Mais chez Marques et Films , on assure que « les frites sont bonnes » n’a pas été une phrase réclamée au réalisateur. « On se plie aux demandes du cinéaste. On ne lui impose rien. »Même son de cloche dans les autres agences, qui répètent dans un bel élan : on est au service d’un cinéaste. « Pour « Kennedy et moi », Jean-Pierre Bacri portait la même montre que le président Kennedy : c’était un élément du script. On a donc fait appel à Hamilton, le fabricant original », se souvient Jean-Patrick Flandé, qui représente la marque.
« Crédibiliser le script ».
Idem pour « Vénus beauté (institut) », où Tonie Marshall a demandé à l’agence Casablanca de chercher des tons pastel parmi les cosmétiques. « Les marques devaient aussi se trouver dans les instituts », précise Catherine Emond, directrice de Casablanca, qui a proposé Jeanne Gatineau et Mavala. Quand le script prévoit carrément la pub d’une marque, comme Maserati dans « Notre univers impitoyable », tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais le rôle de l’agence est parfois plus actif. Exemple encore avec « Disco ». « Dans le concours interne chez Darty, il y avait un faux nom d’ordinateur. J’ai suggéré à Onteniente l’Intel Core Duo », se souvient Bouthillier. « Pour crédibiliser le script », ajoute-t-il bien sûr. « En lisant le scénario, j’ai pensé qu’il y avait de la place pourParuVendu, explique Catherine Emond. Au début, on devait voir le journal lors de la visite d’une maison. Puis je me suis dit que ce ne serait pas assez visible et j’ai eu l’idée du logo sur la boîte de nuit Gin Fizz. » ParuVendu a aussi un contrat avec Marques et Films, mais c’est Casablanca qui a dégainé le plus vite. Heureux hasard : ParuVendu , déjà sur la promo de « La maison du bonheur », le premier film de Dany Boon, lorgnait sur le septième art : « Le cinéma, c’est aussi les DVD et des diffusions télé », constate Gérard Hullot, directeur marketing de ParuVendu, satisfait, après vision de « Disco », de la lisibilité de la marque. Le contrat tourne autour de 100 000 euros. Pas cher payé. A ce prix, on obtient trois pages de publicité dans un grand magazine. Sur cette somme, l’agence touche une commission avoisinant 20 %. A charge pour elle d’assurer, lors du tournage, la présence des produits : « Pour le petit déjeuner de Dany Boon et Line Renaud dans « Les ch’tis », on avait apporté les paquets de Chicorée Leroux. Et on vérifiait, avec le retour caméra, que la marque était visible à l’écran , raconte Emond, qui regrette qu’un accord avec L’Occitane n’ait pu être honoré. La séquence a été supprimée au montage . » Même cas de figure, sur « Disco », avec un opérateur de téléphonie. A contrario, Peugeot se frotte les mains : pour quelques véhicules postaux prêtés à la production des « Ch’tis », la marque a été vue par 17 millions de spectateurs. « Hormis pour « Taxi », les constructeurs automobiles se contentent de mettre à disposition des véhicules », explique Flandé. Dans un film de Lelouch, Ford avait payé 150 000 euros pour, à l’arrivée, figurer très pauvrement ; sur « Les visiteurs 2 », Volkswagen avait vécu une expérience de ce genre : depuis, les constructeurs auto ne mettent plus la main à la poche.
Mais quel est l’impact de ce placement sur les produits ? Tout dépend bien sûr du succès du film : « Sophie Marceau, dans « La boum », portait un blouson dont les ventes ont explosé », se souvient Flandé, qui s’occupe sur les James Bond du champagne Bollinger et du Dry Martini de l’agent 007 : « Le Dry Martini, c’est du gin, de la vodka et, depuis le dernier James Bond, on y met du Lillet, un vin cuit produit par une petite boîte bordelaise. Son chiffre d’affaires est parti en flèche. » Autre cas de figure : l’investissement des régions. Midi-Pyrénées et le Gers avaient donné moins de 100 000 euros à Chatiliez pour « Le bonheur est dans le pré » : là-bas, le retour touristique et immobilier a été énorme. Que dire de la région Nord, qui ne regrette certainement pas d’avoir aidé « Les ch’tis « ? Pour « Disco », Le Havre n’a pas souhaité être associé. En revanche, il n’a pas échappé à LD Lines, la compagnie de ferrys de Robert Louis-Dreyfus, assurant des liaisons entre Le Havre et Portsmouth, qu’elle figurait discrètement à droite, sur l’affiche du film. Du coup, LD Lines a demandé à participer à la promo. Le placement ne connaît pas le mot fin.
10 avril 2008
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